Qui sait encore qu’au début du XXe siècle, dans les Alpes-Maritimes, des centaines d’hectares étaient consacrés à la culture de l’oranger (amer), le Citrus Aurantium, appelé communément le bigaradier; cette cueillette est racontée par exemple dans «Tourrettes-sur-Loup- Les récits des Bigaradiers » de Marie-Magdeleine Lammli ou dans des ouvrages de Georges Caméra « La Fleur du Bigaradier » et « Toi, le Bigaradier » . Il existait un syndicat des propriétaires d’orangers qui réunissait des représentants de toutes les communes, les exploitants de Pont-du-Loup y étaient représentés par Mr Dozol du Bar en 1922.
Mon grand-oncle Joseph Marchisio et tante Marie sa femme possédaient, au quartier des Valettes, une propriété complantée essentiellement d’orangers
Le mois de mai arrivant, à la fraîche, la cueillette des fleurs demandait beaucoup de main d’œuvre. Parents, amis, hommes, femmes et enfants, nous n’étions jamais trop nombreux pour cueillir ces délicates fleurs.
Après avoir ratissé sous les arbres, nous installions des toiles de jute puis juchés sur des échelles les branches sont ébouriffées d’un geste doux et précis ; une pluie de fleurs mêlées de quelques feuilles et brindilles tombent sur les toiles de jute, monte alors une fragrance puissante d’agrume.
Puis patiemment nous cueillons une à une, entre le pouce et l’index en un petit geste circulaire les fleurs ouvertes mais toujours accrochées à leur branche, qui sont alors déposées dans des paniers ou dans les tabliers dont on remontait les coins pour les fixer à la taille et former ainsi un sac. Lorsque les paniers, les sacs sont pleins, on vide leur contenu dans une grande corbeille placée à l’ombre et recouverte d’un linge humide pour éviter le desséchement des fleurs. Le soir venu, les fleurs étaient répandues sur les toiles de jute pour permettre de trier à la main afin d’ôter les feuilles, brindilles, insectes…Ramassées et mises dans des sacs pour être livrées par un courtier aux usines de parfumerie de Grasse qui distillaient deux produits, l’huile essentielle de Néroli pour la parfumerie et l’eau de fleur d’oranger pour l’alimentation.
Il faut environ une tonne de fleurs pour extraire 1 kilo de néroli et 600litres d’eau de fleurs d’orangers. L’extraction par solvants volatiles est un procédé pour recueillir l’Absolu (alcool presque pur moins de 1% d’eau).
Une partie des arbres n’étaient pas concernés, les fleurs poursuivaient leur cycle pour obtenir des fruits : les fameuses oranges amères. Une partie de la production était vendue aux confiseurs pour la fabrication des fruits confits. Le reste en plus faible quantité était destinée aux producteurs de liqueurs. Les oranges étaient pelées en colannes (rubans), séchées et vendues pour la fabrication des vins cuits : Quinquinas, Amer Picon, Cinzano et autres…
Enfin presque tous les producteurs, ainsi que tous les habitants se gardaient quelques kilos de la récolte pour se préparer un délicieux vin d’orange qu’il fallait filtrer jour de pleine lune et dont voici une recette :
Mettre à macérer pendant 45 jours :
• 5 oranges bigarades amères
• 1 orange douce, 1 citron, 1 mandarine
• 1 bâton de vanille ou de cannelle
• 1 kg de sucre
• 5 litres de bon vin (rouge, rosé, blanc selon la préférence)
• ½ litre alcool
Qui se souvient qu’autrefois, en juin, on coupait les « broutes », ces petites jeunes repousses de branches de l’année pour en extraire une eau parfumée « eau de broute ».
La cueillette de la fleur d’oranger, sur la Côte d’azur, fait partie de ces jolies traditions dont la mémoire est conservée par le village du Bar-sur-Loup.
Un grand merci à Robert Giorsetti pour sa précieuse documentation.
Marcelle GRAZIANI