Gaby s’en est allé…
Figure marquante de notre village il était connu de tous les tourrettans quel que soit « leur degré d’ancienneté dans la commune ». Il aurait pu trouver sa place dans une œuvre de PAGNOL. Toujours prêt à raconter une bonne histoire, mélangeant naturellement le plus souvent le patois et le français, il restait le même avec tout le monde, des gens connus comme des anonymes. Le Café du midi, que personne n’appelait comme ça, c’était Chez Gaby… et tous se souviennent de l’ambiance qu’avec Mimine il insufflait dans ce lieu de convivialité.
Attaché à la terre, fier de sa belle et grande famille, il avait su passer avec intelligence le relais et avait trouvé toute sa place dans son rôle de Patriarche.
Avec la disparition de Gaby, c’est toute une époque, c’est une mémoire riche de notre patrimoine humain qui disparaissent. Son souvenir demeure et longtemps on se racontera les soirées sur la place dans les années 70 qui se terminaient tard Chez Gaby dans une ambiance « que les moins de 20 ans ne connaîtront jamais ».
Gaby raconté par Nelly Orengo
1673 ! Mais non, ce n’est pas l’année de l’ouverture du café, mais celle du plus ancien recensement dans la petite commune de Tourrettes-sur-Loup. À l’époque il y avait 1420 habitants, 92 familles, dont 14 portaient le nom de Talladoire. Avec deux L. « L’une d’aile » s’est envolée pour n’en laisser plus qu’un.
Gabriel Taladoire est prêt pour un entretien à son domicile, et « Gaby » me reçoit dans la cour fleurie de sa maison. Installés dehors, profitant des derniers beaux jours de l’été sur la Côte, nous partons à la recherche des souvenirs, de ce passé ayant construit le présent ; les photos jaunies revoient la lumière, et l’instant est reposant. Le carillon de l’horloge sonne la demie et le coucou sort de son nid, alors que les perruches s’invectivent dans leur volière. Le grand-père de Gabriel Taladoire, Honoré Bareste, a créé et baptisé le Café du Midi en 1900. Il était alors le maire de Tourrettes-sur-Loup. De ses trois filles qui occupent chacune un étage du café, l’une d’elle, Élina Briquet, va tenir le bistrot. Plus tard, la tante de Gabriel va mettre le café en gérance, mais hélas les bénéfices escomptés sont trop maigres. Dans la conversation à bâtons rompus, Gaby évoque aussi avec tristesse le jeune Marcel Briquet, son cousin, mort sur une mine pendant la guerre sur la route du Col de Vence, et dont le nom est inscrit sur la plaque dédiée à ces jeunes résistants disparus prématurément.
Gaby, né le 15 janvier 1929, est issu d’une famille modeste, des paysans au sens noble du mot, pas de grande fortune, des gens de la campagne…
Son enfance reste pourtant «fantastique», il est heureux mais voit son père mourir à l’âge de quarante ans. Depuis ses jeunes années passées dans les ruelles autour du château, Gaby a coutume de croiser les acteurs, les poètes, les peintres, les musiciens ou autres cinéastes, car le petit bourg est très apprécié des artistes en tous genres. Il rencontre Trauner ou Gérard Philippe, et comme beaucoup de Tourrettans, il participe comme figurant au tournage de la plupart des films qui se font sur la place ou alentour : de la célèbre « Guerre des Gosses » en 1936, dont nous avons parlé dans la revue n° 25, tourné en partie sur la place de l’église et au Café du Midi, à « Ernest le Rebelle » avec Fernandel, mis en scène à l’ancienne gare en contrebas du pic rocheux, puisque la voie de chemin de fer est opérationnelle, le viaduc de Pascaressa n’étant pas encore détruit. Gaby tourne aussi dans « La main au collet », ou encore, pour faire court, dans « Le Pigeon » avec Günter Sach.
Également grand sportif, il joue au basket à Vence.
Sur cette photo, debout, ses coéquipiers sont alors Francis Ferrero (6), Gilbert Artigliana (15), Serge Guizol (13-blanc), Robert Busnel (13), René Gavarry (7), René Chocat (16), Camille Gaumendy (8), André Buffière (19), et à genoux René La-vergne (11), Gaby Taladoire (10), Justy Specker (9) et Roger Durando (3).
À cette époque, Jean Dandréis est un ami de Robert Busnel, l’homme qui a introduit le basket en France, membre de la Fédération française de basket, entra heur national, surnommé le « Pape du basket français ». Ce dernier organise avec son ami Jean une rencontre sur la Côte, le priant de les recevoir, lui et ses joueurs de l’équipe de France, pour un match à Vence. Comme le souligne Francis Ferrero en regardant la photo, les Vençois s’étaient bien défendus, les joueurs de l’équipe adverse ayant mouillé leur maillot !
Gaby se marie en 1951 avec Marie-Thérèse, plus connue des Tourrettans sous le petit nom de «Mimine», de quatre ans sa cadette. En 1952 naitra d’abord Christine, puis Jean-Claude en 1955, et Monique en 1959. Le père de famille décide alors de reprendre la direction du snack-bar, nous sommes le 12 avril 1960. Mais à cette époque les clients se font rares. Les élections se profilent, Maximin Escalier va être élu, il fait du bistrot son quartier général, et c’est l’éclosion : le Café du Midi renaît et se remplit. Envers de la médaille, il faut travailler dur, le couple ne chôme pas, l’établissement ouvre dès six heures du matin jusqu’à tard dans la nuit, et quand le patron monte se reposer quelques heures, son épouse descend dans la salle pour y faire le ménage. L’astreinte durera près de vingt ans sans fermer un seul jour !
Tourrettes-sur-Loup, perché sur son éperon, est accueillant et sympathique, après la guerre la mairie installe un camping à l’entrée du village, sur l’actuel terrain de tennis, ce qui amène du monde. Le patron du Café du Midi est sociable, commerçant et chaleureux, et il sait y faire : pas de cérémonie, de la simplicité, tout le monde se sent comme chez soi.
Les marches donnent au bar un trait de noblesse, et nombre de célébrités les gravissent. Les plus grands noms s’y rencontrent : Curt Jürgen, domicilié à Vence, Achille Zavatta amateur de jeux de cartes, Les Compagnons de la chanson (dont l’un sera enterré au cimetière du village), le fantaisiste Guy Bedos (dont l’une des filles du cafetier sera secrétaire), le peintre danois Mac Donald et son célèbre kilt porté à l’écossaise, et dont l’une des filles a gardé la maison du village.
Ce même Mac Donald qui se fait mordre un jour pas un chien mal luné, et pour qui Mimine se transforme en infirmière ! On peut voir également Sir Winston Churchill en personne, qui n’hésite pas à recouvrir d’huile quelques toiles. Plus tard viendront aussi Alesi et Schumacher. Ou bien encore Lelouch, ou Moustaki, présent quant à lui chaque matin pour boire son café. Et puis il y a Raymond Poulidor, ou Gus, le dessinateur de presse, et surtout Jacques Martin, l’animateur amateur de pétanque, et son ami Sarkozy…
Jacques Martin les invitera, Gaby et Mimine, à l’une de ses émissions à Paris en compagnie du maire et de quelques amis.
Les années passent, les trois enfants du couple demandent beaucoup d’attention, leur mère s’y emploie, elle monte et descend les escaliers, s’affaire et oublie la fatigue, telle une abeille laborieuse dans la ruche bourdonnante. Un travail assidu, Gaby au service, Mimine aux pan-bagnats, parfois une quarantaine par repas, et l’on peut servir jusqu’à 150 couverts. Bref, une vie trépidante, somme toute comme dans tous les cafés- restaurants. Au bar comme dans le privé, le cafetier est taquin et s’amuse des plaisanteries qu’il fait à ses nombreux amis. Gaby se remémore en souriant tous ces bons moments, au rythme des souvenirs les photos défilent sur la table ronde du jardin : un jour il se déguise, ou déguisera les autres, il les enduira de farine, mais rien n’entame jamais l’amitié qui les unit. L’ambiance dans le Café est sur la même longueur d’onde, beaucoup de joie et de lumière, c’est coloré, les tableaux accrochés aux murs témoignent du passage d’artistes, et le service se fait sourire aux lèvres, même en période d’affluence. Et puis un jour, des clients du snack partent pour un voyage en Norvège. Ils en reviennent avec un cadeau pour Mimine et Gaby, cadeau de valeur même s’il n’a l’air de rien. Il s’agit d’un livre écrit en norvégien — de Hans Petter Treider et Svein Brimi, aux éditions Orion Forlag – intitulé « Parmi le vin et nos amis de Provence ». En norvégien certes, mais qui touche profondément le couple tourrettan. En couverture, le Café du Midi ! Ils ouvrent l’ouvrage, et se découvrent sur les photos prises à la volée, dans le bar, mais aussi dans le village ou dans Vence, Nice et le Negresco, ou encore St Tropez. Un beau livre sur la Provence et ses villages, et les célébrités norvégiennes installées dans la région. Une amie leur traduit quelques phrases du texte : « Nous ne devons pas partir loin pour trouver des petits endroits idylliques. Souvent, nous allons au Café du Midi à Tourrettes-sur-Loup, un café simple mais très charmant. Nous sommes toujours charmés par ce village du XVe siècle. (…) Le dernier client quitte le Café du Midi en étant souhaité le bon soir et à bientôt du « Papa » et ses deux filles. Puis, c’est la nuit qui règne »… À ce stade de la conversation, Gaby sort de ses archives une page déchirée d’un magazine : «Photographs by Elinor Carucci for The New York Times», où l’on relate en anglais le Café du Midi : « Chez Gaby’s et le chien truffier Max… » !
Il est d’ailleurs étonnant de constater que nombre de journaux étrangers rédigent des articles sur Tourrettes-sur-Loup et la Côte d’Azur, illustrés de photos du village. Ici c’est le « Dimanche Presse » en Belgique, là ce sera le « Washington Post » en septembre 1988… Comme partout, nul doute que rien n’est facile pour la famille, mais la raison et l’intérêt du Café l’emportent toujours et l’on fait corps face aux difficultés. Quels que soient les soucis, le client sera bien servi. On ne dit pas que l’on va boire un verre au « Café du Midi », mais on va « chez Gaby ».
Le bistrot du grand-père, il l’a fait sien, et durant cinquante ans, cinquante années de bons et loyaux services. Mais la santé du patron vacille, il est souvent contraint de s’absenter, et son fils Jean-Claude, dit « Coco », marié à Annie, deviendra dès lors le patron à son tour. Le Café du Midi, c’est une affaire de famille où tout le monde met la main à la pâte, parents, enfants, gendre, bru, toutes générations confondues. On y travaille beaucoup, on gère avec succès, on fait vivre l’établissement, et les petits-enfants Amandine et Mickaël sont prêts pour la relève…
Remerciements à NeIIy ORENGO